samedi 17 mai 2025

 Nouvelle N 3 : final (le 17 mai 2025)

Titre : « Singeons-les ! »

Prologue


Paradoxe

Voici quelques cinquante millions d’années….

Elle va. Puis revient. Sans cesse. Et puis sans raison, la vague suivante avale les autres. Ou voudrait. Croit y parvenir. Sans odeur véritable, elle crée une mélodie. Répétitive. Sur cette île, cet îlot oublié.

Vraiment égaré ? Quelques êtres grossiers essayent pourtant de tuer le temps, de trouver quelques plaisirs. Parfois brutaux. Alors, ils ont faim. Ou veulent la tromper. Notamment. Ca occupe. Ils ont adoré se goinfrer de ce fruit allongé et jaune dont on enlève facilement la peau. Mais encore une fois, ils s’en sont lassé. Des bananes ils se sont rués sur les noix de coco…

Oui, c’est ça, ça occupe. Avec le temps, ils se sont rendu compte que se tenir parfois debout avait de nombreux avantages. Mais beaucoup d’entre eux résistent encore au changement. Et restent donc à quatre pattes. Et écoutent inlassablement la litanie des vagues. Qui use le temps.

Toutefois, un matin comme les autres, un « presque-debout » que l’ennui a poussé les deux pattes dans l’écume, devine au loin un objet inconnu. Ca brille. Ca flotte. Les courants l’apportent sur le rivage. La majorité des « quatre-pattes » s’enfuient. La curiosité du « presque-debout » l’encourage à ramasser l’instrument énigmatique. C’est plat et rond. Ses doigts osent le retourner. Alors, il grogne, il panique et lâche la « chose » dans le sable ! Dans « l’objet » miroitant, il a vu, juste devant lui, le visage d’un autre « presque-debout » comme lui ! Pourtant, il en est certain, il n’y a personne devant lui !

Alors, la peur lui saisit la main, le conduit vers la femelle la plus proche, et puis le mâle la retourne à grands bruits fluides et bestiaux.

Pendant ce temps, le miroir se transforme, se métamorphose en une boule, roule vers la mer et disparait. Jusque quand ? Et qu’a-t-il introduit dans la noix de coco posée sur sol ?

X

Quelques millions d’années plus tard…

- Comment vous dire…j’ai peur, peur de « rater quelque chose » ; de « manquer de quelque chose ».

- Une relation par exemple ?

- Oui, par exemple. Comme je vous l’ai maintes fois expliqué dans cette psychanalyse, Mme Vandevelde, je suis célibataire et… j’aimerais peut-être le rester.

- …… Qu’entendez-vous par là ?

Il y a, dans sa voix, à la fois quelque chose de riche et d’intime. De rassurant. Pourtant, il ne peut que la deviner, derrière lui. Assise sur son savoir. Son expérience. Elle fait corps avec l’ensemble de la pièce. Immobile. 

- Paradoxalement, si je cours le risque de me lancer dans une relation sérieuse avec une femme, je crains, là également, de ne pas atteindre l’essentiel, la richesse de la relation, de me contenter d’un contact superficiel…

- Donc, vous préférez ne pas prendre de risque…

- Oui, exactement. Mais j’ai conscience que, de cette manière, j’ai beaucoup de chance justement…de « rater quelque chose » !  En fait, je suis coincé. 

- ……

A ce moment, il retrouve ce blanc. Cette couleur oppressante du plafond chez sa psychanalyste, ce blanc qui l’écrase dans ce divan, lorsqu’aucune solution ne semble s’ouvrir à lui. Le temps. Le temps s’écoule. Les mots se taisent ; ou n’osent plus se souvenir.

Pourtant, Arthur a mené tant de projets à bien ! Contrairement à Marie et Louise, ses deux sœurs cadettes qui, dès le départ avaient choisi une vie bien plus oisive. Lui, il est engagé dans mille ONG et autres organisations, et ce en sus de son statut de professeur de sociologie à l’UCL ! Mais voilà, déjà âgé de trente-six ans …l’angoisse du lendemain, de l’Autre le conduit chaque samedi matin, à onze heure précises, sur ce divan. 

Silence. Les secondes s’égrainent. Suent. Tombent. Une à une. On s’écoute. Même ce plafond. Blafard. 

Son regard cherche un soutien, une caresse. Il se glisse sur le sol, sur ce bois de mélèze, chaud. Découvre une chaussure, si fine, si élégante, si pourpre que même un cardinal n’oserait sans doute pas la baiser. 

-  Pour vous, Arthur, une relation, quand commence-t-elle ?

Tandis qu’un glissement furtif de tissu, d’étoffe se laisse deviner derrière lui, la seconde chaussure semble rejoindre la première. Délicatesse. Calice. Supplice. Glisse.

- Voici peu, j’ai hérité d’un miroir. Que je souhaitais posséder. Pourtant, il me fait peur. Il est exactement le même que le vôtre, à votre gauche. Pourquoi le vôtre m’apaise-t-il ?

- Vous ne répondez pas à ma question…

- Vraiment ? dit-il d’un air enjoué, voire sensuel.


Chapitre 1 

Ivresse épaisse

36. 36 Avenue Normande. Genval. Tout une ambiance, un style ; normande. Une maison rouge d’émotion, vive. Pourtant, Arthur a acheté cette bâtisse d’abord pour son lac, cette douceur, cette eau presque sensuelle. Il aime particulièrement l’apercevoir depuis sa tourelle, à côté de sa chambre. Aujourd’hui, en sus, il se plaît à goûter un ballon de blanc. Le breuvage se laisse découvrir, le séduit, par sa robe et par ses rondeurs. Doux. Ce vin, s’il n’est pas de messe, il s’y associe, car il s’agit d’un vin de banane. Blanc, oui, mais cassé. Un peu comme lui, qui regrette toujours d’avoir écouté les informations de vingt heures. Après Ebola, après le Covid voilà qu’un nouveau virus inquiétant prend l’avion sans payer. A nous l’addition ?

La nuit est tombée. Il ne voit plus rien. Sauf lui, qu’il devine en miroir dans ces carreaux biseautés. Il évite de distinguer son visage, car il ne s’aime pas. Simplement. Ou malheureusement. Un énième verre, grenat à présent, tâche de tenir debout. 

La sonnette retentit. 22 :10. Qui cela peut-il être à une telle heure ? Au travers d’un rideau fatigué, la lampe extérieure laisse deviner une forme sombre, avachie, tête penchée en avant. Alors, il reconnaît cette amie de toujours. 

- Scola ? Que se passe-t-il ? Entre…

Les mots sont absents, car inutiles. Le lampadaire s’endort à nouveau. Le corridor éclaire ce visage métissé d’une beauté éblouissante, pourtant raviné par des larmes de douleur.

A côté du divan, la pénombre dévoile deux cadavres couchés sur le tapis foncé, expliquant peut-être l’élocution hésitante d’Arthur. Les évitant, les talons noirs cherchent leur route. Ils sont perdus. Le bois crisse. Craque.

- Assieds-toi, je t’en prie.

Arthur le voit très bien, trop bien : des traces de violence sont frappantes, évidentes sur sa figure. Il se sent gêné, presque coupable, et tente de cacher les deux bouteilles vides. À ses pieds. 

- Ton mari ? Il t’a encore frappée ? Il a encore bu ?

Hochement de tête. Léger. Délicat.

- Mais bon sang, pourquoi restes-tu avec lui ? C’est un animal, cette brute. Et tu es si belle…

Un sourire à la Joconde se peint alors sur sa peau huileuse. Suave.

Sans lui demander son avis, les ballons se remplissent à nouveaux : au palais, c’est rugueux. Epais. Et violacé. Presque ferreux. 

La nuit sera longue. La vie d’Arthur, elle aussi, a été souvent trop longue et sombre. Son doigt glisse sur un bouton du juke-box. Le morceau « Day One » dans « Interstellar » de Hans Zimmer met la pièce en musique. 

Alors, il se souvient… Alors, les images se mettent en route, défilent, de plus en plus vite, comme si c’était sa dernière heure, voire sa dernière minute ! Ses images de détresse ou de pulsions ou les deux, il ne sait plus, sont prises de vertige ! Il a trop bu. Oui, « papa a encore trop bu ! ». Il descend ensuite avec son fils sans le cellier. 

Il se souvient… Son père gueule :

- « Tu aurais pu faire mieux, idiot ! Imbécile ! Si je dis de tondre la pelouse, ce n’est pas pour faire la moitié, crétin ! »

Il sait ce qui l’attend : et la cravache dessine la souffrance d’un fils, l’incapacité d’un père d’aimer. Sans tendresse. 

Aujourd’hui, le miroir, qu’il a reçu récemment, posé dans son living, hérite de deux êtres en pleurs, Arthur se lit, feuillette tour à tour sa peur, son angoisse, son enfance ratée, l’image d’un père violent. Mort. Noyé dans une cirrhose. Et quoiqu’absent, il frappe, frappe tous les jours sa mémoire. De toutes ses forces. De toutes ses angoisses. Alcoolisées.

- J’ai peur de ce que je n’ai pas. J’ai peur de cet amour qui me manque. Non je n’ai pas peur des gifles de mon mari. Des coups ne sont que douleurs. Parfois mortelles. Mais manquer, manquer d’amour, de tendresse, c’est toujours mortel. Alors, je reste, et j’espère. Quitte à en mourir.

Maintenant, ils sont quatre, dans la pièce et s’écoutent religieusement : le juke-box, Scolastique, le Miroir et Arthur. 

Le lac se lève dans la brume. L’aurore a séché leurs larmes sans pour autant mieux les armer. Une lame pend toujours sur le cou de Scolastique. Non, rien n’a vraiment changé

36. 36 Avenue Normande.



Chapitre 2 : 

La mission

Il y a quelque chose d’agaçant, à ULB. Même …voire surtout, une fois assis à cette table ovale du Conseil d’administration de cette université, à laquelle Arthur est exceptionnellement convié. Ou alors, est-ce le souvenir qu’il en a gardé, avant de s’enfuir travailler à l’UCL.

- Non, il n’est pas question que des médecins accompagnent ce groupe de travail ! Tous les symptômes de ce virus sont identifiés ! Et l’objectif poursuivi n’est pas explicitement d’ordre médical.

Avec ce recteur, on ne risque pas de douter de son point de vue : il a l’avantage d’être très clair. Ceci dit, cette réunion de haut vol, réunissant notamment tous les recteurs francophones convoqués en urgence, a bien besoin de clarté. Surtout pour les acteurs principaux, à savoir Arthur Belami et …Mme Mélissa Vandevelde ! 

Arthur maugrée. Ne peut-on pas trouver d’autres experts francophones pour communiquer sur ce nouveau virus qui sévit depuis peu ? Chez ScienSANO par exemple ? 

Bien sûr, il est vrai que Mme Vandevelde n’est pas que psychanalyste à titre privé : professeur à ULB, elle est surtout réputée dans les milieux universitaires notamment francophones pour ses compétences sur le behaviorisme. Quant à Arthur, sociologue spécialisé sur l’étude des besoins, lui, il s’est intéressé aux réactions des individus lors de grandes catastrophes humanitaires comme des tsunamis, Ebola et autres Covids : comment les femmes et les hommes réagissent-ils ? Quels sont leurs besoins, leurs priorités, sur des plans politiques et socio-économiques ? Toutefois, jusqu’à présent, leurs compétences n’avaient jamais empêché déontologiquement Arthur de réaliser sa thérapie auprès de Mme Vandevelde. Voilà qui allait changer…Car refuser ce projet n’était même pas envisageable !

- Au besoin, je rappelle que ces symptômes se traduisent par l’apparition de petites verrues, fièvre, douleurs à la vessie, brûlures urinaires, perte de poids, perte de cheveux et hémorragie externe au niveau des parties génitales. A un stade avancé, la caractéristique la plus significative est le comportement sexuel, celui-ci se traduisant soit pas une suppression totale de désirs des relations sexuelles ou, au contraire, une augmentation significative de ceux-ci. 

Mme Vandevelde et Mr Belami, comme notre gouvernement l’a requis, votre mission consistera à rassurer la population francophone sur bases d’informations scientifiques, du moins dans une certaine mesure. Je rappelle : « rassurer… ».

Pour cela, nous vous demandons de vous rendre sur place, sur le lieu à partir duquel l’épidémie a été déclarée récemment, à savoir, l’île de Kythnos, en Grèce. A condition de ne pas avoir de relations sexuelles avec la population, vous n’encourrez aucun risque majeur. L’objectif sera d’examiner le comportement de la population indigène et d’en rapporter un enseignement nous permettant de prendre les dispositions adéquates, traduites et adaptées à notre pays.

Il respira fort avant d’ajouter : 

- En tous cas, 2024 fera date en nos mémoires…

X

« Votre mission … », « rassurer », « notre gouvernement », « informations scientifiques, du moins dans une certaine mesure ». Du n’importe quoi. Surtout du mensonge. Mais tout est dit. 

Par conséquent, afin de clarifier la situation, Arthur a rapidement fixé un rendez-vous, dans lieu public, avec Mme Vandevelde, sa psy, qui deviendra sous peu sa collaboratrice. Quel malheur… Durant le meeting, elle n’a pas pipé mot au sujet de leur relation actuelle. Lui non plus par ailleurs. Comme s’ils avaient le choix…

Le bistro « Le Tavernier », près du cimetière d’Ixelles, est moche. En essayant d’escalader le temps, l’escalier, fait de padouk, est essoufflé depuis trop longtemps. Avant de grimper, juste à gauche, la peinture amarante vineuse ose encore se lézarder. Avant de choir. Et de laisser place aux jeunes briques, plus que vivantes, elles. Pourtant, Arthur aime se lâcher, se perdre dans ce cuir bordeaux grainé qui pourrait sans doute lui en raconter jusqu’à la fin des nuits. Sa main droite extirpe de son portefeuille une photo d’une de ses deux sœurs jumelles. Louise. Louise que le sida a emportée. Que le souvenir réfléchit encore … Comme pour prouver qu’il a parfois tort de l’oublier, un miroir froid, de glace, juste en face de lui, semble la révéler, quoique dans un certain brouillard, habillée d’une robe toute faite de rubis. Il n’entend pas ce craquement presque familier d’un plancher vanné, qui voudrait se rapprocher. Mais qui n’ose plus. Qui s’est arrêté. A quelques pas de lui. Ses yeux humides l’empêchent sans doute aussi de découvrir ces talons si connus. Carmin cette fois. Mme Vandevelde est au rendez-vous.

Chapitre 3 et 4

« Oser quitter »

Il est assis, le singe. Sur un caillou de l’île. Il scrute au loin la mer toute de bleu vêtue. Sa mer à lui. Elle qui, si souvent, le rassure. Ou, tout au moins, le soulage. Par son rythme, par ses vagues, le caresse. Mais voilà, il a suivi son instinct. Il a dû la quitter, quitter la plage, blonde, cette chaleur certaine. Presque maternelle.

Il est assis. Sur ce roc, dur, fort et puissant. Les rochers, ce soir comme tous les autres soirs, le guettent froidement.  Il y a quelque chose de « mâle » dans ces hauts lieux même si quelques rondeurs ont érodé cette brutalité rocheuse. Cependant, tout n’est pas que nuances de gris : on découvre quelques touffes, drues, de vert, ici et là. Il y a de la vie…

Quelques autres singes l’ont suivi. Il se souvient bien. En fait, tout a été très vite : après avoir ramassé cet outil miroitant, brillant de mille feux, il a eu très peur. Alors, il a pris la femelle. Vite. Mal. Oui, elle a eu mal. Puis, elle s’est jetée sur une noix de coco et en a bu goulument le lait. Peut-être pour se rassurer, elle aussi. Mais il en est certain : avant de se transformer en « boule » et de rouler vers le rivage, la « chose » brillante s’est rapprochée de cette même noix de coco ! Pour que faire ?  En tout cas, juste après, cette femelle est devenue agressive : dans son regard, trop scintillant pour être vrai, se reflétait quelque chose de morbide, une douleur grandissante ! Puis, sans crier gare, elle se jetait sur tous les mâles et s’offrait. Ses yeux, aveuglés par une rage, sont devenus le reflet d’une mort prochaine. 

Le singe est toujours assis. Mais il a mal. Mal d’avoir perdu bon nombre de ses frères. Et de ses sœurs. Si vite. Dans ce combat. Il avait déjà découvert la mort. D’autres morts. Parfois douce. Voire surprenante. Mais ici, elle a été une hécatombe, brutale. Ici, elle est arrivée et a fait la loi ! Comme une déesse, elle a fauché. Alors, on ne comprend rien. On panique, on court de peur, de faim. Alors, on a mal au ventre, alors on croit être atteint de la « chose », on oublie pères et mères, on se dit que c’est fini. Alors le sable s’échappe, la chaleur se dérobe, sous nos pieds, sous nos mains ! Alors nous nous croyons sans mer et nous noyons dans l’angoisse !

Le groupe est mort. Chacun pour soi. C’est une première peste ; une autre lèpre. Les plus forts gagneront. Jusqu’à quand ? Le singe pleure : il n’a même pas enterré ses morts. Ni la Première Morte…

Ce qu’il ne sait pas, c’est que, lui, il en a pris conscience. Qu’il en pleure. Ce n’est pas le cas de tous ces singes…Chef de clan ou non. Il est déjà capable d’une recherche de lui-même, de son groupe qui vit une mort étrange, nouvelle. Surtout, collective.

Sans doute à faute de n’avoir trouvé de solution, le soleil se noie dans un profond désarroi bleu nuit tandis que le vent froid meurt à petits feux orangés. 

Alors le singe se lève. Désespéré, il part se cacher dans une touffe verte. 


Texte 4 : 

Le sourire de Kythnos

Beaucoup plus tard…

Le Meltemi est un de ces vents piquants qui ne passent pas inaperçus : il n’est pas impossible d’avaler un ouzo sur un ferry par force cinq mais accrochez-vous et oubliez les glaçons devenus inutiles. Même au début de l’automne dans les Cyclades. Alors, allez comprendre pourquoi le Blue Star ferry s’évertue encore à insuffler de l’air conditionné glacial dans les cabines, au point que nous devions enfiler un pull ! Peut-être pour nous obliger de consommer des Greek coffees bien chauds ? Comme bon nombre de passagers, Arthur et Melissa Vandevelde se tiennent sur le pont arrière, tant bien que mal, le café à la main, à l’abri des rafales et des fortes vagues. Au risque d’un mal de mer.

Depuis leur entrevue dans la taverne bruxelloise « Le Tavernier », les choses ont été bon train : ils ont d’abord décidé de mettre fin à la thérapie d’Arthur, quitte à la poursuivre avec un de ses confrères. Ensuite, le fait d’être choisi comme acteurs principaux dans cette recherche par les universités est une aubaine au plan professionnel. De plus, c’est une reconnaissance personnelle. Enfin, cette nouvelle relation leur permettrait de mieux se connaitre, sans vice ni dépravation. Et puis, il faut bien le concéder, les charmes de Mme Vandevelde ont déjà éveillé les sens d’Arthur plus d’une fois lors des séances de thérapie. De là s’imaginer que cela faciliterait leur tâche professionnelle… Bref, adieu Mme M. Vandevelde, bonjour Mélissa ! 

X

Le ferry a d’abord freiné des quatre fers, puis ce pachyderme, dans une lente danse, s’est retourné pour montrer sa plus belle parure, dans un bruit de ferraille tandis que les cordages valsent à gauche comme à droite. Et les hommes se jouent de cela, l’arrimant comme une flûte de pain.  Non content de la manœuvre réussie dans ce mouchoir qu’est le port, sous les cris des femmes et des matelots, les vapeurs noires veulent se faire plus discrètes. Sans vraiment y parvenir. 

Et tout à coup, la crique de l’escale se vide, se fait sereine, presque posée, comme une grande dame, drapée d’un bleu chaleureux si doux : la respiration des vagues se mêle à celle des derniers voyageurs qui traînent autour d’un café frappé tardif. Adieu, force cinq. Ici, on respire. Le temps prend le temps. Mille citrons ne se pressent plus, jeunes ou vieux quitte à ne pas gouter au palais de tous. Ici, chacun semble roi de ses choix. Ici, non, l’été n’a pas dit son dernier mot. 

- Bienvenue à l’île de Kythnos ! Bienvenue en Grèce ! 

Le petit homme trapu respire le bonheur mais également une forme de dénuement au travers de son chandail usé par on ne sait trop quoi. Son sourire nous montre clairement qu’il nous connait depuis toujours, lui que nous ne connaissons ni d’Eve ni d’Adam. 

- Bonjour Monsieur, s’enhardi Arthur. Nous sommes Monsieur Belami et Madame Vandevelde ci-présente…

Nous devons rencontrer le bourgmestre de l’île ce matin…Peut-être pourriez-vous nous aider ? 

- No problem, je lui téléphone !

Quelques instants plus tard, le même sourire leur annonce que le bourgmestre les prie de l’excuser car il ne peut les recevoir comme prévu et leur propose de se rencontrer demain matin.

Devant la mine déconfite d’Arthur, l’homme affiche alors un autre sourire, plus grand encore, presque rieur tout en voulant s’excuser.

- Demain matin, Monsieur ? Soit, mais à quelle heure ? s’enquit Arthur.

- Ici, dans ce café du port. Mais il n’a pas précisé l’heure. Ne vous inquiétez pas, vous vous habituerez vite...

- Et vous êtes… ?

- Giorgios, serveur dans la taverne du port. Et voici ma sœur Elena. Pour vous servir.

 Comme pour mieux l’exprimer, il porte la main droite sur sa poitrine. A hauteur du cœur. Tout sourire, évidemment…

X


Quoique d’abord quelque peu désabusé, Arthur a fini par accepter une bière offerte par Giorgios. Peu après, son corps cède et s’écroule dans un fauteuil si frais, les pieds à deux pas de l’eau. Trois canards passent et traversent la petite route portuaire ; les rares voitures attendent, patientes. Respect. 

Onze heures. Une bière. Un demi litre, comme d’habitude ici. Et puis, dans les yeux de la sœur de Giorgio, il y a quelque chose d’inexplicable ; oui, ce calme, cette fraicheur dans sa sollicitude, cette confiance …que l’on a envie de saisir ! On semble deviner que cette jeune femme offre une richesse, que son regard vert est un miroir, une invitation à « prendre » … Ou à « comprendre » ? Dans ce miroir, il y a un rythme, une cadence douce. Même la montre d’Arthur vient de s’arrêter de trotter. Tout cela est complétement incompréhensible ! Car Arthur et Mélissa sont dans un lieu où la MORT est présente, ou une MALADIE s’est propagée ! 

X

De toutes parts, à ce ciel azur de toujours, mille chapelles s’accrochent. Encore. Sur fond de robe de mariée. Blanche. Propre.

Pourtant, seule dans sa chambrée, Mélissa, hésite. Pour la millième fois. Se juge encore dans le miroir. Sale. Puis, enfin, elle se le permet : son mail part, ose la quitter. Par cette annonce, elle quitte aussi son mari. Alcoolique. Et à gros bouillons, elle se noie dans sa robe. Laiteuse.


Chapitre 5

Guerres et paix : encore ?


Prendre un rendez-vous à Kythnos, c’est sonner chez un quidam, y déposer sa carte de visite, puis s’en aller. L’habitant est donc informé du souhait de l’autre interlocuteur de le rencontrer. Reste à savoir quand. Et pourquoi. Pourtant, ils se rencontreront toujours. Le respect est à cette île ce qu’est l’eau à l’Homme.

Arthur se souvient très bien de ce premier rendez-vous. Voici quelques mois. Il y a si longtemps. Leur ferry a été l’un des derniers à accoster au port, peu avant le confinement. 

Le bourgmestre, Costas, étonne. Notamment par sa prestance. Son calme. Son rythme. Il est arrivé et nous avons su immédiatement que c’était lui. Pourtant, il s’installe, presque confortablement, à proximité du café du port, dans une méridienne de lin, jute et pin. Blanche. Oui, c’est certain, l’écume voisine lui jalouse son apparence ordonnée et si placide. Il est cependant onze heures et quart. Il négocie avec un partenaire. Et nous attendons. Au travers de ses gestes, précis et imposants, il déploie une droiture, une loyauté. Tout à coup, l’air marin tournoie, se lève et accompagne Costas. Ce dernier salue son compagnon puis se dirige vers nous.

Nous ne saurons jamais comment il nous a reconnus. Il respire la force et l’ouverture. Il pose les faits, promptement, exprime et espère. Et il y croit. Mais il ne demande rien : il a fini d’attendre, d’Athènes ou d’ailleurs. Ici, clame-t-il haut et fort, nous sommes prêts à mourir, mais en PAIX ! Foi et loyauté conduisent cet entretien. Bref.

- Nous nous reverrons.

Il vide son frappé comme on renverse une ortie, nous écrase la patte, sourit, et s’en va. Sans payer. Pourtant, Giorgio, le cafetier, s’incline en guise de remerciement. 

« Vous verrez, ici, vous vous habituerez vite », avait-il dit.

Quoiqu’il en soit, les trois canards, qui ont suivi le manège, s’en vont en riant, se moquant, eux aussi de convenances et autres conformités. 

A présent, le temps s’est écoulés. Le printemps a trouvé son chemin. Et l’on s’étonne presque qu’une chapelle disparaisse si tard dans la pénombre. Mais voilà, ça y est, la mort s’est enfuie avant de se noyer. Ces églises sont épuisées d’avoir respiré tant d’encens et carillonné mille disparus. Or, sachez, bonnes gens, que sur l’île, ces sanctuaires sont le sel de la vie. Est-ce pour cela que les résidents n’ont jamais eu peur ? Ou parce que chaque jour en se couchant, l’astre jaune, ici, donne rendez-vous à l’espoir ?

X

Paris brûle-t-il ? En tout cas, explique Scola dans un mail à Arthur, les voitures, les pneus sont morts, crevés, puent la révolte. Ou la panique. Ou les deux ! Une odeur de « déjà vu » . Quand on débouche dans les rues, les miroirs, les vitrines pétillent de joie, éclatent puis déversent leur trop plein dans toutes les capitales européennes. Champagne partout ! Mille neuf cent quarante est-il de retour ? L’épidémie vit très bien …Trop bien. Les gouvernements ne gèrent plus qu’hier. Ici, à Bruxelles, au Berlaimont, les gens ne respectent plus rien : les bus brûlent leurs dernières cartouches. Les barricades ne sont plus qu’un amas de fer brisé de tristesse et de désolation. Révolte ou révolution ? Un ciel plombé est encore le seul à exprimer un sens, lourd et pesant, entre feux et fumigènes. Noirs et gris sont les dernières couleurs de Londres ou de Berlin, qui s’époumonent et crient « Au secours ». « Aiuto » tousse Rome ! Ici ou là, tout est encrassé de pavés morts, ou alors le seront bientôt ! Ha, elle rit, elle rit de se voir si belle, cette mort-là ! Immondes, les égouts de Paris n’osent plus se montrer, se cachent sous terre !  

Sida, tu es une farce ! Ebola, tu ne m’emmerdes plus ! Covid de mes f…, tu me fais presque rire ! Qui oserait encore se regarder en face, qui oserait encore se regarder dans un miroir pour autant qu’il soit, lui, propre, alors qu’ils courent pour se sauver et abandonnent femmes et enfants ! 

Epidémie H40-45, tu nous as bien eus ! On a cru pourtant en toi, Europe, toi qui amuses à te réchauffer !

Aujourd’hui, les talons aiguilles et autres soirées joyeuses fuient : les bruits de bottes se font déjà entendre !


Texte 6 :

 « Les hommes n’en n’ont jamais assez »

Oui, Paris brûle bel et bien. Et oui, l’astre solaire, chaud et rassurant, donne bien rendez-vous tous les jours aux habitants de Kythnos. La foi, comme répète le bourgmestre, Costas-la-foi…

-  Pourtant, avoue Arthur entre deux vagues, on sait depuis peu que Kythnos a été d’abord une tragédie. Bien avant que la Grèce ne soit grecque. Il y a des millions d’années. Mais on ignore comment cette île a été le réceptacle de l’épidémie H40-45, même si l’on suppose qu’un singe a pu être la souche de ce virus.

- Paradoxalement, Kythnos respire la paix, murmure Mélissa. Elle échappe à la folie, à la panique, à la violence anarchique qui déchire une Europe ensanglantée. Le dénouement de cette épidémie n’est sans doute pas un simple vaccin. Il est dans nos mains. Ou sous nos paumes. Ici et maintenant.

Le sable fin sur lequel ils sont couchés, qui a connu toutes les paix après toutes les guerres, toutes les amours avant toutes les déchirures, s’empare mieux que quiconque de ces quelques paroles. Les vagues, par ce rythme paisible, invitent ces deux corps, mine de rien, à se toucher, à glisser. Un peu plus. Néanmoins, même dans leur nudité, demeure une dernière retenue. Puis, l’ombre du tamaris ne sait plus que faire pour les cacher : d’ailleurs, leurs mains n’en sont plus à un coup d’essai. Voilà, la grève est à eux. Comme Arthur est à Mélissa. Une Mélissa qui se sent enfin libre, qui se donne et veut se découvrir. Ils ont faim. Et se mangent. Le bas-ventre. Peut-être pour taire une peur cachée dans ces entrailles. Car H40-45 assassine toujours, à quelques encablures de cette plage, à quelques miles de cette jouissance. Oui, il fait chaud.

X

Il fait chaud. La nuit est même torride, à Kythnos. Voici deux jours que le vent du Sud transporte mille poussières, du Tchad à la Grèce. C’est un autre sable, piquant celui-là, qui empoisonne la vie, nuit et jour. Les draps n’en peuvent plus de suer. Les cuisses nues n’osent plus s’effleurer, et se retournent encore et encore, et agitent une moustiquaire déchirée comme dernier drapeau blanc. Ensuite, des moustiques, inconnus au bataillon jusqu’à présent, piquent en vrille puis sucent tout ce qui passe ! 

Alors Mélissa découvre un Arthur agité, des lèvres qui balbutient quelques verbes inconnus, des phrases d’un autre monde, d’une autre vie. Ce n’est plus maintenant qu’un corps nu ébranlé, secoué par une fièvre qui s’amuse, habité par des transes de maîtresses invisibles. Effrayée, Melissa saisit cette masse de viande, avec qui elle croit pourtant avoir fait l’amour un jour, la fait glisser sur un plancher ocre fava qui, lui aussi, fait ce qu’il peut jusqu’à la salle de bain. La viande termine sa course dans un bain salvateur.

X

-  Le réchauffement climatique permettra de plus en plus aux moustiques du genre Aedes de nous transmettre la fièvre jaune. Voilà ce que tu as vécu, mon cher Arthur, à cause de ce vent venant du Sahara. Tu m’as fait bien peur, soupira Mélissa. J’ai craint au début que tu aies contracté l’épidémie !

Mais dans ton délire, tu as bafouillé des propos d’or et d’argent. Cependant, dans ta thérapie, tu n’y as jamais fait allusion.

Arthur est d’abord perplexe, indécis, avant de s’ouvrir un peu plus : 

- Comme tu le sais, ma mère a été une femme absente, effacée, surtout « ruinée » par un mari alcoolique, qui a bu sans compter. J’avais dix ans quand je l’ai surprise trop souvent en pleurs, confessant à voix haute à son miroir, son seul confident, ses angoisses financières du lendemain. Alors j’ai décidé de voler chaque fois que je le pouvais une partie du salaire de mon père, et de le glisser sous le plancher. Durant de nombreuses années…Devine pourquoi je me suis investi dans l’étude des besoins, en sociologie.

Ma mère m’a avoué combien de voyages elle a deviné, face à son miroir, appuyée à ce bastingage imaginaire. Et combien fragile !

Je la revois encore, se maquillant devant ce miroir :  

- « Monte », gueule le père. 

- « Les hommes n’en ont jamais assez », me souffle ma mère.

Puis, son doigt sur sa bouche délicate, m’indique le chemin du silence et monte, résignée. 

Avec le père, elle n’a pas connu les jonquilles d’un seul printemps, ni le soleil d’un été. Elle n’aura connu que l’automne de ses plaisirs dans des draps jaunis.

- Non, Mélissa, nous ne répéterons pas ces mêmes erreurs : je te le promets.


Chapitre 7 

Evolution ?

Université Mondiale de Chicago, America, en l’an 3026 

Les lattes de teck sur lequel est assis le singe, comme lui, soupirent. Sans espoir.

Car aujourd’hui, en cet an 3026, des continents fêtent le retour et la seconde intronisation d’Uxley X, empereur du « Meilleur des mondes » rassemblant le « Vieux Monde », à savoir America, et Africa, la Nouvelle Vague, riche et prospère.

Le singe écoute une seconde fois la new letters dans son livre électronique avec lequel il converse : 

« Mais comment donc en est-on arrivé à ce qu’un seul ‘singe’ puisse jouer avec le destin du monde en claquant simplement des doigts chaque jour et à toute heure, de façon totalement erratique et égotique, inspiré par un mix opaque de théories foireuses (…) avec (…) zéro moyen de l’arrêter ? » se révolte B.D., éditeur en chef des « News du Soir ». 

- Pourtant, répond le singe à son livre virtuel, cet empereur ne dirige rien. Au mieux, il dérive, emporté par les aléas des courants et autres ressacs économiques

Ses yeux se ferment, sans doute pour mieux accepter cette certitude-là. Cette horreur trop réelle.

Peut-être aussi parce que les travaux actuels d’Hercule, singe historien à l’Université Mondiale de Chicago, portent sur une période cruciale des hommes, entre 2025-2030 : à savoir, la très mauvaise gestion par les très nombreux gouvernements de l’époque du virus H 40-45 dangereux et parfois mortel, comme en atteste les études de l’époque de Mr Arthur Belami et Mme Vandevelde.

- Il semble que l’on n’ait rien retenu de cette terrible crise mondiale conduite par les hommes et les femmes…

Et pourtant, Mirror Artificial Intelligence (MAI), nous a doté d’une intelligence bien supérieure à eux ! MAI, c’est plat, c’est rond mais quel miroir, quelle vivacité d’esprit, quelle puissance ! Parfois, Mirror se transforme en une boule de feu, vive comme l’éclair, pour mieux disparaitre dans l’eau. Et le comble, c’est que ce sont les hommes qui ont créé le concept de la puce électronique ! Avant de l’introduire dans notre cerveau.

Maintenant, le monde des hommes nous est soumis. Ils ont même repris l’habitude de se pencher, pour aller plus vite. Toujours plus vite. Comme si, en se mettant à quatre pattes, ventre à terre, ils filaient plus vite !

Le primate réprime un frisson. Presque de l’embarras…Confusion. Gêne. Se gratte l’oreille. Droite.

Avant de poursuivre :

- Paradoxalement, il demeure une île composée encore d’hommes et de femmes très bizarres. Ce sont des « Révoltés » : non seulement ils se tiennent encore debout, ils ignorent les pestes, mais en plus, ils utilisent des moyens de reproduction… archaïques. Au lieu d’utiliser des éprouvettes comme tout le monde, ils se cachent d’abord (!), puis l’homme pénètre la femme ! Cette île, autrefois dénommée Kythnos, s’appelle à présent « Bounty ». Allez savoir pourquoi. Et ce n’est pas fini ! Ils ont des règles bizarres : il semble ainsi que les miroirs soient interdits, ainsi que l’alcool. L’alcool, vous vous rendez compte ? ! Et même qu’ils ont gardé un concept de « poésie », vous savez, cette façon de dire, ou surtout d’être, qui serait liée au rythme, à ce « temps », et qui plus est, à la subjectivité ! Mais, ici, je me perds peut-être : je dois vous laisser, Monsieur, ma navette est arrivée. Enfin ! J’ai failli attendre.

Il monte, referme « Monsieur », son livre virtuel, seul réel compagnon. S’assied. Solitude. Puis se souvient. Souffre. Maintenant, ça y est, il pleure. En cachette.

                                X

Kythnos, en l’an 3026 après J.C.

« Heure. Mal. Mal. Heure. Malheur. La peur a sans doute été la source de nos malheurs, écrit le berger. La peur de manquer. De tout » 

L’homme sait pourtant qu’il ne peut pas se plaindre, lui. Il n’a pas besoin de grand-chose pour vivre, mais ce dont il dispose est si riche : cette paix. 

Et elle est là, à côté de lui.

Sa compagne. Noire. Peau. Douce. Fragile. Talon. D’Achille. Silence. Silice.

Silex. Le berger est assis, sur un caillou. Dur. Usé d’être. Les larmes de l’homme font tache, sur le caillou. Dur…

Au loin, dans l’azur, là-bas, la mer va. Puis revient. Sans cesse. Et puis, sans raison, la vague suivante avale la suivante. Ou voudrait. Croit y parvenir. Sans odeur véritable, elle crée une mélodie. Répétitive. Sur cette île. Cet îlot. Le « Bounty ».

Maintenant, vraiment égaré.





jeudi 24 avril 2025

Petite précision...

 Bonjour à tous et toutes, 

Je tiens à préciser que mon propos ne vise évidemment que la "Mutinerie" du Bounty. Et non pas l'acception que je viens de découvrir, comme Jan manifestement, à caractère racial. Of course! 

Faut-il pour autant revoir le texte? Je ne crois pas. En effet, il tombe à point nommé sur ce que je veux exprimer : des personne sur une île voulant vivre "autrement". Et dans le cas qui m'occupe, justement dans un sens équitable, dans le respect de l'Autre. Cela transpire dans tout la nouvelle, me semble-il. 

Merci et je vous souhaite une bonne journée

Très cordialement, 

Patrick

dimanche 20 avril 2025

Evolution?

« Mais comment donc en est-on arrivé à ce qu’un seul ‘singe’ puisse jouer avec le destin du monde en claquant simplement des doigts chaque jour et à toute heure, de façon totalement erratique et égotique, inspiré par un mix opaque de théories foireuses (…) avec (…) zéro moyen de l’arrêter ? » titre B.D., éditorialiste en chef des « News du Soir ». 

Ça été si vite. D’ailleurs, ça court toujours.  Dans tous les sens… 

- Aujourd’hui, en cet an 3026, des continents fêtent l’intronisation d’Uxley X, Empereur du « Meilleur des mondes », rassemblant le « Vieux Monde », à savoir América, et d’Africa, la Nouvelle Vague Noire, riche et prospère.

Les lattes de teck sur lequel est assis le singe, comme lui, soupirent. Sans espoir. Sans projet. Il reprend :

- Pourtant, il ne dirige rien. Au mieux, il dérive, conduit par les aléas des courants et autres ressacs économiques. Il n’est que ce que l’on a nommé autrefois au Moyen-âge d’Or, voici mille ans, une de ces « poupées russes », qui s’emboitent les unes dans les autres. Toutes de bois faites. En réalité, elle se nomme MAI : Mirror Artificial Intelligence. C’est plat. C’est rond. Ça réfléchit la lumière et on peut se voit dedans. Un’ Miroir’, quoi…

Ses yeux se ferment, peut-être pour mieux accepter cette certitude-là. Cette horreur trop réelle.

- Parfois, Mirror se transforme en une boule de feu, vive comme l’éclair, pour mieux disparaitre dans l’eau. MAI est avant tout doté d’une intelligence exceptionnelle, d’une rapidité dépassant de loin celle de notre espèce. Cependant, depuis que les Humanoïdes de MAI nous ont doté d’une puce électronique dans notre cerveau, le monde des hommes nous est soumis. Et afin notamment de répondre en temps et en heures à nos desideratas, les hommes ont repris l’habitude de se pencher, pour aller plus vite. Toujours plus vite. Comme si en se mettant à quatre pattes, ventre à terre, ils filaient plus vite !

Le primate réprime un frisson. Presque de l’embarras…Confusion. Gêne. Se gratte l’oreille. Droite.

- Néanmoins, il subsiste une inconnue. En effet, on sait qu’il demeure une île composée exclusivement d’hommes et de femmes. C’est très bizarre. Ce sont des « Révoltés ». On ne comprend pas bien leur organisation : non seulement ils se tiennent encore debout, ils ignorent les pestes, mais en plus, ils utilisent des moyens de reproduction… (mon dieu, par Jupiter, oserais-je dire !) archaïques. Au lieu d’utiliser des éprouvettes comme tout le monde, ils se cachent d’abord (!), puis l’homme pénètre la femme ! Cette île, autrefois dénommée Kythnos, s’appelle à présent « Bounty ». Allez savoir pourquoi. Et ce n’est pas fini ! Ils ont des règles, eux : il semble ainsi que les miroirs soient interdits, ainsi que l’alcool. L’alcool, vous vous rendez compte ? ! Et même qu’ils ont gardé un concept de « poésie », vous savez, cette façon de dire, ou surtout d’être, qui serait liée au rythme, à ce « temps », et qui plus est, à la subjectivité ! Mais, ici, je me perds peut-être : je dois vous laisser, Monsieur, ma navette est arrivée. Enfin ! J’ai failli attendre.

Il monte, referme « Monsieur », son livre virtuel, seul réel compagnon. S’assied. Solitude. Puis se souvient. Souffre. Maintenant, ça y est, il pleure. En cachette.

                                    X

« Heure. Mal. Mal. Heure. Malheur. La peur a sans doute été la source de nos malheurs, écrit le berger. La peur de manquer. De tout» 

L’homme sait pourtant qu’il ne peut pas se plaindre, lui. Il n’a pas besoin de grand-chose pour vivre, mais ce dont il dispose est si riche...Cette paix. 

Et elle est là, à côté de lui.

Sa compagne. Noire. Peau. Douce. Fragile. Talon. D’Achille. Silence. Silice.

- I’m member…

Silex. Le berger est assis, sur un caillou. Dur. Usé d’être. Les larmes de l’homme font tache, sur le caillou. Dur…

Au loin, dans l’azur, là-bas, la mer va. Puis revient. Sans cesse. Et puis, sans raison, la vague suivante avale la suivante. Ou voudrait. Croit y parvenir. Sans odeur véritable, elle crée une mélodie. Répétitive. Sur cette île. Cet îlot. Le « Bounty ».

Maintenant, vraiment égaré.


Remarque utiles :

 Bonjour , 

Pour une meilleurs compréhension, j'ajoute et termine le texte 6 et précédent par la phrase suivante : 

"- Non, Mélissa, nous ne répéterons pas ces horreurs!"

Cordialement, 

Patrick


dimanche 30 mars 2025

Texte 6. « Les hommes n’en ont jamais assez »

 Texte 6 (jaune, souvenir ancien)

Oui, Paris brûle bel et bien. Et oui, l’astre solaire, chaud et rassurant, donne bien rendez-vous tous les jours aux habitants de Kythnos. La foi, comme répètent le bourgmestre, Costas-la-foi…

-  Pourtant, avoue Arthur entre deux vagues, on sait depuis peu que Kythnos a été d’abord une tragédie. Bien avant que la Grèce ne soit grecque. Il y a des millions d’années. Mais on ignore comment cette île a été le réceptacle de l’épidémie H40-45. 

- Cependant, elle respire la paix, murmure Mélissa. Elle échappe à la folie, à la panique, à la violence anarchique qui déchire une Europe ensanglantée. Le dénouement de cette épidémie n’est sans doute pas un simple vaccin. Mais il est dans nos mains. Ou sous nos paumes. Ici et maintenant.

Le sable fin sur lequel ils sont couchés, qui a connu toutes les paix après toutes les guerres, toutes les amours avant toutes les déchirures, s’empare mieux que quiconque de ces quelques paroles. Les vagues, par ce rythme paisible, invitent ces deux corps, mine de rien, à se toucher, à glisser. Un peu plus. Néanmoins, même dans leur nudité, demeure une dernière retenue. Puis, l’ombre du tamaris ne sait plus que faire pour les cacher : d’ailleurs, leurs mains n’en sont plus à un coup d’essai. Voilà, la grève est à eux. Comme Arthur est à Mélissa. Une Mélissa qui se sent enfin libre, qui se donne et veut se découvrir. Ils ont faim. Et se mangent. Le bas-ventre. Peut-être pour taire une peur cachée dans ces entrailles. Car H40-45 assassine toujours, à quelques encablures de cette plage, à quelques miles de cette jouissance. Oui, il fait chaud.

X

Il fait chaud. La nuit est même torride, à Kythnos. Voici deux jours que le vent du Sud transporte mille poussières, du Tchad à la Grèce. C’est un autre sable, piquant celui-là, qui empoissonne la vie, nuit et jours. Les draps n’en peuvent plus de suer. Les cuisses nues n’osent plus s’effleurer, et se retournent encore et encore, et agitent une moustiquaire déchirée comme dernier drapeau blanc. Ensuite, des moustiques, inconnus au bataillon jusqu’à présent, piquent en vrille puis sucent tout ce qui passe ! 

Alors Mélissa découvre un Arthur agité, des lèvres qui balbutient quelques verbes inconnus, des phrases d’un autre monde, d’une autre vie. Ce n’est plus maintenant qu’un corps nu ébranlé, secoué par une fièvre qui s’amuse, habité par des transes de maîtresses invisibles. Effrayée, Melissa saisit cette masse de viande, avec qui elle croit avoir pourtant avoir fait l’amour un jour, la fait glisser sur un plancher ocre fava qui, lui aussi, fait ce qu’il peut jusqu’à la salle de bain. La viande termine sa course dans un bain salvateur.

X

-  Le réchauffement climatique permettra de plus en plus aux moustiques du genre Aedes de nous transmettre la fièvre jaune. Voilà ce que tu as vécu, mon cher Arthur, à cause de ce vent venant du Sahara. Tu m’as fait bien peur, soupira Mélissa. J’ai craint au début que tu ais contracté l’épidémie !

Mais dans ton délire, tu as bafouillé des propos d’or et d’argent. Cependant, dans ta thérapie, tu n’en n’as jamais fait allusion.

Arthur est d’abord perplexe, indécis. 

- Comme tu le sais, ma mère a été une femme absente, effacée, surtout « ruinée » par un mari alcoolique, qui a bu sans compter. J’avais dix ans quand je l’ai surprise trop souvent en pleurs, confessant à voix haute à son miroir, son seul confident, ses angoisses financières du lendemain. Alors j’ai décidé de voler une partie du salaire de mon père, chaque mois, et de le glisser sous le plancher. Durant de nombreuses années…Devine pourquoi je me suis investi dans l’étude des besoins, en sociologie.

Ma mère m’a avoué combien de voyages elle a deviné, face à son miroir, appuyée à ce bastingage imaginaire. Et combien fragile !

Je la revois encore, se maquillant devant ce miroir :  

- « Monte », gueule le père. 

- « Les hommes n’en ont jamais assez », me souffle ma mère.

Puis, son doigt sur sa bouche délicate, m’indique le chemin du silence et monte, résignée. 

Avec le père, elle n’a pas connu les jonquilles d’un seul printemps, ni le soleil d’un été. Elle n’aura connu que l’automne de ses plaisirs dans des draps jaunis.





dimanche 9 mars 2025

Guerre et Paix: encore ?

Prendre un rendez-vous à Kythnos, c’est sonner chez un quidam, y déposer sa carte de visite, puis s’en aller. L’habitant est donc informé du souhait de l’autre interlocuteur de le rencontrer. Reste à savoir quand. Et pourquoi. Pourtant, ils se rencontreront toujours. Ici, le respect est à cette île ce qu’est l’eau à l’Homme.

Arthur se souvient très bien de ce premier rendez-vous. Voici maintenant presque deux mois. Il y a si longtemps. Leur ferry a été l’un des derniers à accoster au port, peu avant le confinement. 

Le bourgmestre, Costas, étonne. Notamment par sa prestance. Son calme. Son rythme. Il est arrivé et nous avons su immédiatement que c’était lui. Pourtant, il s’installe, presque confortablement, à proximité du café du port, dans une méridienne de lin, jute et pin. Blanche. Oui, c’est certain, l’écume voisine lui jalouse son apparence ordonnée et si placide. Il est cependant onze heure et quart. Il négocie avec un partenaire. Et nous attendons. Au travers de ses gestes, précis et imposants, il déploie une droiture, une loyauté. Tout à coup, l’air marin tournoie, se lève et accompagne Costas. Ce dernier salue son compagnon puis se dirige vers nous.

Nous ne saurons jamais comment il nous a reconnus. Il respire la force et l’ouverture. Il pose les faits, promptement, exprime et espère. Et il y croit. Mais il ne demande rien : il a fini d’attendre, d’Athènes ou d’ailleurs. Ici, clame-t-il haut et fort, nous sommes prêts à mourir, mais en PAIX ! Foi et loyauté conduisent cet entretien. Bref.

- Nous nous reverrons.

Il vide son frappé comme on renverse une ortie, nous écrase la patte, sourit, et s’en va. Sans payer. Pourtant, Giorgio, le cafetier, s’incline en guise de remerciement. 

« Vous verrez, ici, vous vous habituerez vite », avait-il dit.

Quoiqu’il en soit, les trois canards, qui ont suivi le manège, s’en vont en riant, se moquant, eux aussi de convenances et autres conformités. 

Aujourd’hui, huit semaines se sont écoulées. L’automne a trouvé son chemin. Et l’on s’étonne presque qu’une chapelle disparaisse si tôt dans la pénombre. Mais voilà, ça y est, la mort s’est enfuie avant de se noyer. Ces églises sont épuisées d’avoir respiré tant d’encens et carillonné mille disparus. Or, sachez, bonnes gens, que sur l’île, ces sanctuaires sont le sel de la vie. Est-ce pour cela que les résidents n’ont jamais eu peur ? Ou parce que chaque jour en se couchant, l’astre jaune, ici, donne rendez-vous à l’espoir ?

X

Paris brûle-t-il ? En tout cas, explique Scola dans un mail à Arthur, les voitures, les pneus sont morts, crevés, puent la révolte. Ou la panique. Ou les deux ! Une odeur de « déjà vu » . Quand on débouche dans les rues, les miroirs, les vitrines pétillent de joie, éclatent puis déversent leur trop plein dans toutes les capitales européennes. Champagne partout ! Mille neuf cent quarante est-il de retour ? L’épidémie vit très bien …Trop bien. Les gouvernements ne gèrent plus qu’hier. Ici, à Bruxelles, au Berlaimont, les gens ne respectent plus rien : les bus brûlent leurs dernières cartouches. Les barricades ne sont plus qu’un amas de fer brisé de tristesse et de désolation. Révolte ou révolution ? Un ciel plombé est encore le seul à exprimer un sens, lourd et pesant, entre feux et fumigènes. Noirs et gris sont les dernières couleurs de Londres ou de Berlin, qui s’époumonent et crient « Au secours ». « Aiuto » tousse Rome ! Ici ou là, tout est encrassé de pavés morts, ou alors le seront bientôt ! Ha, elle rit, elle rit de se voir si belle, cette mort-là ! Immondes, les égouts de Paris n’osent plus se montrer, se cachent sous terre !  

Sida, tu es une farce ! Ebola, tu ne m’emmerdes plus ! Covid de mes f…, tu me fais presque rire ! Qui oserait encore se regarder en face, qui oserait encore se regarder dans un miroir pour autant qu’il soit, lui, propre, alors qu’ils courent pour se sauver et abandonnent femmes et enfants ! 

Epidémie H40-45, tu nous as bien eus ! On a cru pourtant en toi, Europe, toi qui amuses à te réchauffer !

Aujourd’hui, les talons aiguilles et autres soirées joyeuses fuient : les bruits de bottes se font déjà entendre !


dimanche 16 février 2025

 « Oser quitter »

Texte 3 et 4

Il est assis. Sur un caillou de l’île. Il scrute au loin la mer toute de bleu vêtue. Sa mer à lui. Elle qui, si souvent, le rassure. Ou, tout au moins, le soulage. Par son rythme, par ses vagues, le caresse. Mais voilà, il a suivi son instinct. Il a dû la quitter, quitter la plage, blonde, cette chaleur certaine. Presque maternelle.

Le singe est assis.  Sur ce roc, dur, fort et puissant. Les rochers, ce soir comme tous les autres soirs, le guettent froidement.  Il y a quelque chose de « mâle » dans ces hauts lieux même si quelques rondeurs ont érodé cette brutalité rocheuse. Cependant, tout n’est pas que nuances de gris : on découvre quelques touffes, drues, de vert, ici et là. Il y a de la vie…

Quelques autres singes l’ont suivi. Lui, il n’a pas oublié. En fait, tout a été très vite : après avoir ramassé cet outil miroitant, brillant de mille feux, il a eu très peur. Alors, il a pris la femelle. Vite. Mal. Oui, elle a eu mal. Puis, elle s’est jetée sur une noix de coco et en a bu goulument son lait. Peut-être pour se rassurer, elle aussi. Mais il en est certain : avant de se transformer en « boule » et de rouler vers le rivage, la « chose » brillante s’est rapprochée de cette même noix de coco ! Pour que faire ? Peu après, cette femelle est devenue agressive : dans son regard, trop scintillant pour être vrai, se reflétait quelque chose de morbide, une douleur grandissante ! Puis, sans crier gare, elle se jetait sur tous les mâles et s’offrait. Ses yeux, aveuglés par une rage, sont devenus le reflet d’une mort prochaine. 

Le singe est toujours assis. Mais il a mal. Mal d’avoir perdu bon nombre de ses frères. Et de ses sœurs. Si vite. Dans ce combat. Il avait déjà découvert la mort. D’autres morts. Parfois douce. Voire surprenante. Mais ici, elle a été une hécatombe, brutale. Ici, elle est arrivée et a fait la loi ! Comme une déesse, elle a fauché. Alors, on ne comprend rien. On panique, on court de peur, de faim. Alors, on a mal au ventre, alors on croit être atteint de la « chose », on oublie pères et mères, on se dit que c’est fini. Alors le sable s’échappe, la chaleur se dérobe, sous nos pieds, sous nos mains ! Alors nous nous croyons sans mer et nous noyons dans l’angoisse !

Le groupe est mort. Chacun pour soi. C’est une première peste ; une autre lèpre. Les plus forts gagneront. Jusque quand ? Le singe pleure : il n’a même pas enterré ses morts. Ni la Première Morte…

Ce qu’il ne sait pas, c’est que, lui, il en a pris conscience. Qu’il en pleure. Ce n’est pas le cas de tous ces singes…Chef de clan ou non. Il est déjà capable d’une recherche de lui-même, de son groupe qui vit une mort étrange, nouvelle. Surtout, collective.

Sans doute à faute de n’avoir trouvé de solution, le soleil se noie dans un profond désarroi bleu nuit tandis que le vent froid meurt à petits feux orangés. 

Alors le singe se lève. Désespéré, il part se cacher dans une touffe verte. 

Texte 4

Le Meltemi est un de ces vents piquants qui ne passent pas inaperçus : il n’est pas impossible d’avaler un ouzo sur un ferry par force cinq mais accrochez-vous et oubliez les glaçons devenus inutiles. Même au début de l’automne dans les Cyclades. Alors, allez comprendre pourquoi le Blue Star ferry s’évertue encore d’insuffler de l’air conditionné glacial dans les cabines, au point de devoir enfiler un pull ! Peut-être pour nous obligez de consommer des Greek coffee bien chauds ? Comme bon nombre de passagers, Arthur et Melissa Vandevelde se tiennent sur le pont arrière, tant bien que mal, le café à la main, à l’abri des rafales et des fortes vagues. Au risque d’un mal de mer.

Depuis leur entrevue dans la taverne bruxelloise « Le Tavernier », les choses ont été bon train : ils ont d’abord décidé de mettre fin à la thérapie d’Arthur, quitte à la poursuivre avec un de ses confrères. Ensuite, le fait d’être choisi comme acteurs principaux dans cette recherche par les universités est une aubaine au plan professionnelle. De plus, c’est une reconnaissance personnelle. Enfin, cette nouvelle relation leur permettrait de mieux se connaitre, sans vice ni dépravation. Et puis, il faut bien le concéder, les charmes de Mme Vandeveld ont déjà éveillé les sens d’Arthur plus d’une fois lors des séances de thérapie. De là s’imaginer que cela faciliterait leur tâche professionnelle… Bref, adieu Mme M. Vandevelde, bonjour Mélissa ! 

X

Le ferry a d’abord freiné des quatre fers, puis ce pachyderme, dans une lente danse, s’est retourné pour montrer sa plus belle parure, dans bruit de ferraille tandis que les cordages valsent à gauche comme à droite. Et les hommes se jouent de cela, l’arrimant comme une flûte de pain.  Non content de la manœuvre réussie dans ce mouchoir qu’est le port, sous les cris des femmes et des matelots, les vapeurs noires veulent se faire plus discrètes. Sans vraiment y parvenir. 

Et tout à coup, la crique de l’escale se vide, se fait sereine, presque posée, comme une grande dame, drapée d’un bleu chaleureux si doux : la respiration des vagues se mêlent à celle des derniers voyageurs qui traînent autour d’un café frappé tardif. Adieu, force cinq. Ici, on respire. Le temps prend le temps. Mille citrons ne se pressent pas ; quitte à ne pas gouter au palais de tous. Ici, chacun semble roi de ses choix. Ici, non, l’été n’a pas dit son dernier mot. 

- Bienvenue à l’île de Kythnos ! Bienvenue en Grèce ! 

Le petit homme trapu respire le bonheur mais également une forme de dénuement au travers de son chandail usé par on ne sait trop quoi. Son sourire nous montre clairement qu’il nous connait depuis toujours, lui que nous ne connaissons ni d’Eve ni d’Adam. 

- Bonjour Monsieur, s’enhardi Arthur. Nous sommes Monsieur Belami et Madame Vandeveld ci-présente…

Nous devons rencontrer Le bourgmestre de l’île ce matin…Peut-être pourriez-vous nous aider ? 

- No problem, je lui téléphone !

Quelques instants plus tard, le même sourire nous répond qu’il nous prie de l’excuser car il ne peut les recevoir comme prévu et leur propose de se rencontrer demain matin.

Devant la mine déconfite d’Arthur, l’homme affiche alors un autre sourire, plus grand encore, presque rieur tout en voulant s’excuser.

- Demain matin, Monsieur, soit, mais à quelle heure ? s’enquit Arthur.

- Ici, dans ce café du port. Mais il n’a pas précisé l’heure. Ne vous inquiétez pas, vous vous habituerez vite...

- Et vous êtes… ?

- Giorgios, serveur dans la taverne du port. Et voici ma sœur Elena. Pour vous servir.

 Comme pour mieux l’exprimer, il porte la main droite sur sa poitrine. A hauteur du cœur. Tout sourire, évidemment…

X


Quoique d’abord quelque peu désabusé, Arthur avait fini par accepter une bière offerte par Giorgios. Peu après, son corps cède et s’écroule dans un fauteuil si frais, les pieds à deux pas de l’eau. Trois canards passent et traversent la petite route portuaire ; les rares voitures attendent, patientes. Respect. 

Onze heures. Une bière. Un demi litre, comme d’habitude ici. Et puis, dans les yeux de la sœur de Giorgio, il y a quelque chose d’inexplicable ; oui, ce calme, cette fraicheur dans sa sollicitude, cette confiance …que l’on a envie de saisir ! On semble deviner que cette jeune femme offre une richesse, que son regard vert est un miroir, une invitation à « prendre » … Ou à « comprendre » ? Dans ce miroir, il y a un rythme, une cadence douce. Même la montre d’Arthur vient de s’arrêter de trotter. Tout cela qui est complétement incompréhensible ! Car Arthur et Mélissa sont dans un lieu où la MORT est présente, ou une MALADIE s’est propagée ! 

                            X

De tout part, à ce ciel azur de toujours, mille chapelles s’accrochent. Encore. Sur fond de robe de mariée. Blanche. Propre.

Pourtant, seule dans sa chambrée, Mélissa, hésite. Pour la millième fois. Se juge encore dans le miroir. Sale. Puis, enfin, elle se le permet : son mail part, ose la quitter. Par cette annonce, elle quitte aussi son mari. Alcoolique. Et à gros bouillons, elle se noie dans sa robe. Laiteuse.






 Nouvelle N 3 : final (le 17 mai 2025) Titre : « Singeons-les ! » Prologue Paradoxe Voici quelques cinquante millions d’années…. Elle va. Pu...