Elle va. Puis revient. Sans cesse. Et puis, sans raison, la vague suivante avale les autres. Ou voudrait. Croit y parvenir. Sans odeur véritable, elle crée une mélodie. Répétitive. Sur cette île, cet îlot oublié.
Vraiment égaré ? Quelques grossiers êtres essayent pourtant de tuer le temps, de trouver quelques plaisirs. Parfois brutaux. Alors, ils ont faim. Ou veulent la tromper. Notamment. Ca occupe. Ils ont adoré se goinfrer de ce fruit allongé et jaune dont on enlève facilement la peau. Mais encore une fois, ils s’en sont lassé. Des bananes ils se sont rués sur les noix de coco…
Oui, c’est ça, ça occupe. Avec le temps, ils se sont rendus compte que se tenir parfois debout avait de nombreux avantages. Mais beaucoup d’entre eux résistent encore au changement. Et restent donc à quatre pattes. Et écoutent inlassablement la litanie des vagues. Qui use le temps.
Toutefois, un matin comme les autres, un « presque-debout » que l’ennui a poussé les deux pattes dans l’écume, devine au loin un objet inconnu. Ca brille. Ca flotte. Les courants l’apportent sur le rivage. La majorité des « quatre-pattes » s’enfuient. La curiosité du « presque-debout » l’encourage à ramasser l’instrument énigmatique. C’est plat et rond. Ses doigts osent le retourner. Alors, il grogne, il panique et lâche la « chose » dans le sable ! Dans « l’objet » miroitant, il a vu, juste devant lui, le visage d’un autre « presque-debout » comme lui ! Pourtant, il en est certain, il n’y a personne devant lui !
Alors, la peur lui saisit la main, le conduit vers la femelle la plus proche, et puis le mâle la retourne à grands bruits fluides et bestiales.
Pendant ce temps, le miroir se transforme, se métamorphose en une boule, roule vers la mer et disparait. Jusque quand ? Et qu’a-t-il introduit dans la noix de coco posée sur sol ?
X
- Comment vous dire…j’ai peur, peur de « rater quelque chose » ; de « manquer de quelque chose ».
- Une relation par exemple ?
- Oui, par exemple. Comme je vous l’ai maintes fois expliqué dans cette psychanalyse, je suis célibataire et… j’aimerais peut-être le rester.
- …… Qu’entendez-vous par là ?
Il y a, dans sa voix, à la fois quelque chose de riche et d’intime. De rassurant. Pourtant, il ne peut que la deviner, derrière lui. Assise sur son savoir. Son expérience. Elle fait corps avec l’ensemble de la pièce. Immobile.
- Paradoxalement, si je prends le risque de me lancer dans une relation sérieuse avec une femme, je crains, là également, de ne pas atteindre l’essentiel, la richesse de la relation, de me contenter d’un contact superficiel…
- Donc, vous préférez ne pas prendre de risque…
- Oui, exactement. Mais j’ai conscience que, de cette manière, j’ai beaucoup de chance justement…de « rater quelque chose » ! En fait, je suis coincé.
- ……
A ce moment, il retrouve ce blanc. Cette couleur oppressante du plafond de sa psychanalyste, Melissa, qui l’écrase dans ce divan, lorsqu’aucune solution ne semble s’ouvrir à lui. Le temps. Le temps s’écoule. Les mots se taisent ; ou n’osent plus se souvenir.
Pourtant, Arthur a mené tant de projets à bien ! Contrairement à Marie et Louise, ses deux sœurs cadettes qui ont choisi une vie bien plus oisive. Lui, il est engagé dans mille ONG et autres organisations, et ce en sus de son statut de professeur de sociologie à l’UCL ! Mais voilà, déjà âgé de trente-six ans …l’angoisse du lendemain, de l’Autre le conduit chaque samedi matin, à onze heure, précise sur ce divan.
Silence. Les secondes s’égrainent. Suent. Tombent. Une à une. On s’écoute. Même ce plafond. Blafard.
Son regard cherche un soutien, une caresse. Il se glisse sur le sol, sur ce bois de mélèze, chaud. Découvre une chaussure, si fine, si élégante, si pourpre que même un cardinal n’oserait sans doute pas la baiser.
- Pour vous, Arthur, une relation, quand commence-t-elle ?
Tandis qu’un glissement furtif de tissu, d’étoffe se laisse deviner derrière lui, la seconde chaussure semble rejoindre la première. Délicatesse. Calice. Supplice. Glisse.
- Voici peu, j’ai hérité d’un miroir. Que je souhaitais posséder. Pourtant, il me fait peur. Il est exactement le même que le vôtre, à votre gauche. Biseauté. Pourquoi le vôtre m’apaise-t-il ?
- Vous ne répondez pas à ma question…
- Vraiment, Mélissa ?
Bonjour Patrick,
RépondreSupprimerUn début très fort, à l'aube de l'humanité et des instincts primaires ! Puis on se rend comte que c'est un rêve raconté à une psy !
C'est surprenant, captivant, plus vrai que nature, très sensuel aussi.
Cela promet un texte aux atmosphères différentes et riches de possibilités, jusqu'à la peur de l'inconnu...
Crainte : ses problèmes psychologiques pourraient lui faire perdre son travail à l'UCL...
Rêve : pouvoir se contenter de vivre sur une île déserte, seul !
Je suis curieux de découvrir le rôle que tu vas réserver au miroir...
Bien à toi,
Jan.
essai
RépondreSupprimerBonjour Patrick,
RépondreSupprimerTu nous offres deux temps forts en nous plongeant d'abord dans un cadre atemporel avec des descriptions sensorielles de toute beauté dans un langage imagé à souhait.
Ensuite, sans transition (peut-être attendue), tu nous places dans le monde actuel avec l'introspection psychologique dans le divan.
Les émotions des personnages, qu'elles soient primitives ou contemporaines sont très vivantes et captivantes.
Tes phrases courtes et incisives donnent une dimension supplémentaire aux descriptions et installent une ambiance particulière. Tu utilises le miroir comme symbole, le lien et la rupture entre les deux récits.
Bravo pour la richesse et la puissance de tes mots!
Sa crainte : ne pas être à la hauteur des attentes de ses supérieurs
Son rêve: accepter enfin ses imperfections avec sérénité
Curieuse de connaître le devenir d'Arthur ...
A très bientôt, Patrick!
Colette
Bonjour Patrick,
RépondreSupprimerJe partage tout à fait les ressentis de Jan et de Colette.
Je m'étonne que Arthur ait choisi sa psychanalyste parmi le personnel de l'UCL où ils sont chercheurs tous les deux. Oserai-je dire que la déontologie n'est pas respectée. Peut-être peut-on répondre positivement à la question de Melissa : la relation a commencé dès lors qu'il l'appelle par son prénom, Mélissa. Comment la psy pourrait-elle garder la bonne distance ? Il me semble évident qu'il est séduit et qu'il voudrait la séduire.
Sa crainte : être écartelé entre l'envie et la peur que le transfert vécu en psychanalyse appelle un contre-transfert non maîtrisé qui voue à l'échec le travail psychanalytique.
Son rêve fou : recevoir un prix Nobel, seul ou à deux : leurs recherches sont complémentaires et, suite à une collaboration étroite, ils pourraient parvenir à une avancée dans le domaine de la sociologie.
Vivement le prochain texte !
Bien à toi,
Gisèle
Bonjour Patrick,
RépondreSupprimerAh que j’aime ces « presque debout » qui mangent des bananes et des noix de coco. Ils copulent sans vergogne avant de découvrir le miroir de la peur. Une introduction style « Odyssée de l’Espace » façon Kubrick. Tof.
Et puis, il y a Arthur qui suit une thérapie chez Mélissa, psychanalyste. Finiront-ils par se rencontrer, s’aimer en dehors de ces rencontres professionnelles.
Bravo. Au plaisir de lire la suite.
Cordialement, Christian
Bonjour Patrick,
RépondreSupprimerTu fais fort avec ce texte et cela commence même par la présentation de tes personnages de manière vivante, dynamique.
Belle séance de psy, je pense que Melissa va regretter de l'avoir comme patient. Belle utilisation du miroir.
Rêve: avoir Melissa à ses pieds.
Craintes: Perdre Melissa , il sait que son jeux est dangereux.
Super!
Merci.
Nadera
Bonjour Patrick
RépondreSupprimerUn début plus que prometteur.
Un personnage déjà attachant dont tu fais vivre certains traits de caractère : les réflexions à propos de la chaussure sont un passage d’anthologie. Elles nous en disent long sans rien expliquer.
Un miroir qui a un jumeau chez la psychanalyste mais qui n’a pas les mêmes pouvoirs.
Dès ce prologue, tu mets en place une série d’éléments féconds. On sent que le récit sera riche, complexe sans doute, mais passionnant sûrement.
A propos de la psychanalyste, je suis d’accord avec les remarques de Gisèle, j’’ai aussi trouvé étrange le fait qu’il l’appelle par son prénom. La relation est effectivement équivoque, et c’est sans doute voulu, mais je me demande si tu ne devrais pas rétablir la « normalité » en ne faisant pas de Mélissa à la fois une collègue et sa psy et en évitant l’emploi du prénom. Cela n’enlèverait rien au côté équivoque de la relation et qui apparaît clairement dans l’épisode de la chaussure mais éviterait au lecteur de se poser d questions inutiles dans la mesure où elles n’ont rien à voir avec la portée du texte. Toutefois si tu veux dépasser le stade du transfert et impliquer aussi la psy dans l’équivoque de la situation, je pense que cela devrait faire partie du développement du récit et ne pas être présenté comme un élément « normal » au départ..
Quant à l’écriture, elle est à la fois très littéraire – les sonorités, les rythmes, les images… – et reste cependant très accessible, davantage que l’année dernière me semble-t-il et je m’en réjouis. En effet, dans la mesure où un récit est complexe, je pense qu’il est important que l’écriture reste accessible, ce qui ne l’empêche pas d’être superbe. Bien au contraire.
Les deux parties de ton prologue m’ont immédiatement rappelé le début de l’Odyssée de l’espace de Kubrick. Et cela marche… Arthur est bien le descendant du « presque debout » avec sa part animale.
Avec ta fiche tu joins un fil conducteur qui ne manque pas d‘intérêt d’autant moins qu’il ne s’agit pas d’un plan qui te fermerait aux consignes mais de ce que j’ai envie d’appeler une philosophie de la nouvelle. Je pense que tu as déjà pas mal réfléchi au rôle du miroir et que cela pourra certainement être un point positif dans le travail dont j’attends la suite avec impatience.
Dans ton premier chapitre, sous le signe du noir, Arthur est confronté à un problème d’image de soi. Le hasard est sympa, non ?
Bon travail,
Liliane
PS Excuse-moi si je n’ai pas répondu à ta question que tu posais sur mon blog, je l’ai trouvée trop tard, mais je constate que tu t’est heureusement passé de la réponse !