dimanche 9 mars 2025

Guerre et Paix: encore ?

Prendre un rendez-vous à Kythnos, c’est sonner chez un quidam, y déposer sa carte de visite, puis s’en aller. L’habitant est donc informé du souhait de l’autre interlocuteur de le rencontrer. Reste à savoir quand. Et pourquoi. Pourtant, ils se rencontreront toujours. Ici, le respect est à cette île ce qu’est l’eau à l’Homme.

Arthur se souvient très bien de ce premier rendez-vous. Voici maintenant presque deux mois. Il y a si longtemps. Leur ferry a été l’un des derniers à accoster au port, peu avant le confinement. 

Le bourgmestre, Costas, étonne. Notamment par sa prestance. Son calme. Son rythme. Il est arrivé et nous avons su immédiatement que c’était lui. Pourtant, il s’installe, presque confortablement, à proximité du café du port, dans une méridienne de lin, jute et pin. Blanche. Oui, c’est certain, l’écume voisine lui jalouse son apparence ordonnée et si placide. Il est cependant onze heure et quart. Il négocie avec un partenaire. Et nous attendons. Au travers de ses gestes, précis et imposants, il déploie une droiture, une loyauté. Tout à coup, l’air marin tournoie, se lève et accompagne Costas. Ce dernier salue son compagnon puis se dirige vers nous.

Nous ne saurons jamais comment il nous a reconnus. Il respire la force et l’ouverture. Il pose les faits, promptement, exprime et espère. Et il y croit. Mais il ne demande rien : il a fini d’attendre, d’Athènes ou d’ailleurs. Ici, clame-t-il haut et fort, nous sommes prêts à mourir, mais en PAIX ! Foi et loyauté conduisent cet entretien. Bref.

- Nous nous reverrons.

Il vide son frappé comme on renverse une ortie, nous écrase la patte, sourit, et s’en va. Sans payer. Pourtant, Giorgio, le cafetier, s’incline en guise de remerciement. 

« Vous verrez, ici, vous vous habituerez vite », avait-il dit.

Quoiqu’il en soit, les trois canards, qui ont suivi le manège, s’en vont en riant, se moquant, eux aussi de convenances et autres conformités. 

Aujourd’hui, huit semaines se sont écoulées. L’automne a trouvé son chemin. Et l’on s’étonne presque qu’une chapelle disparaisse si tôt dans la pénombre. Mais voilà, ça y est, la mort s’est enfuie avant de se noyer. Ces églises sont épuisées d’avoir respiré tant d’encens et carillonné mille disparus. Or, sachez, bonnes gens, que sur l’île, ces sanctuaires sont le sel de la vie. Est-ce pour cela que les résidents n’ont jamais eu peur ? Ou parce que chaque jour en se couchant, l’astre jaune, ici, donne rendez-vous à l’espoir ?

X

Paris brûle-t-il ? En tout cas, explique Scola dans un mail à Arthur, les voitures, les pneus sont morts, crevés, puent la révolte. Ou la panique. Ou les deux ! Une odeur de « déjà vu » . Quand on débouche dans les rues, les miroirs, les vitrines pétillent de joie, éclatent puis déversent leur trop plein dans toutes les capitales européennes. Champagne partout ! Mille neuf cent quarante est-il de retour ? L’épidémie vit très bien …Trop bien. Les gouvernements ne gèrent plus qu’hier. Ici, à Bruxelles, au Berlaimont, les gens ne respectent plus rien : les bus brûlent leurs dernières cartouches. Les barricades ne sont plus qu’un amas de fer brisé de tristesse et de désolation. Révolte ou révolution ? Un ciel plombé est encore le seul à exprimer un sens, lourd et pesant, entre feux et fumigènes. Noirs et gris sont les dernières couleurs de Londres ou de Berlin, qui s’époumonent et crient « Au secours ». « Aiuto » tousse Rome ! Ici ou là, tout est encrassé de pavés morts, ou alors le seront bientôt ! Ha, elle rit, elle rit de se voir si belle, cette mort-là ! Immondes, les égouts de Paris n’osent plus se montrer, se cachent sous terre !  

Sida, tu es une farce ! Ebola, tu ne m’emmerdes plus ! Covid de mes f…, tu me fais presque rire ! Qui oserait encore se regarder en face, qui oserait encore se regarder dans un miroir pour autant qu’il soit, lui, propre, alors qu’ils courent pour se sauver et abandonnent femmes et enfants ! 

Epidémie H40-45, tu nous as bien eus ! On a cru pourtant en toi, Europe, toi qui amuses à te réchauffer !

Aujourd’hui, les talons aiguilles et autres soirées joyeuses fuient : les bruits de bottes se font déjà entendre !


5 commentaires:

  1. Bonjour Patrick,
    Wouah ! La contagion a bien eu lieu est fait des ravages dans le monde.
    Arthur semble épargné tout comme les habitants de l'île...
    Pour longtemps encore ?
    Jolie évocation de la "dolce vita" grecque et d'une certaine fatalité... On n'attend rien, on vit tout simplement au jour le jour...
    Impossible de deviner comment cette histoire va évoluer...
    Bien à toi,
    Jan.

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    1. Mon commentaire est un peu léger alors que le texte a une résonance grave !
      La dernière phrase laisse évidemment présager le pire et la disparition de la démocratie...
      Jan.

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  2. Bonjour Patrick,
    Je me demande si, vraiment, toute misère est moins pénible au soleil. Je me demande si nous allons assister à la disparition de la démocratie ou à celle de nos illusions. Je me demande si la montée des extrêmes que ce soit de droite ou de gauche est à mettre en opposition ou en parallèle avec l'obscurantisme.
    Je me demande si la foi peut être mise en compétition avec la réalité. Je me demande où tu vas, où nous allons.
    Et le bourgmestre Costas, le reverrons-nous et quand le reverrons-nous et pour quoi faire ?
    Et on a survécu à tant de choses, à tant de drames, sauf les disparus bien entendu, et quoi, maintenant ?
    La révolte ou la révolution ?
    Le statu quo n'est plus possible.
    A bientôt pour l'évolution de ta nouvelle !
    Gisèle

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  3. Bonjour Patrik,
    Nous sommes prêts à mourir, mais en PAIX !
    On a beau être sur une îles paradisiaques on échappe pas pour autant à une certaine réalité. Heureusement qu'il y'a des canards et des chapelles.
    Quand c'est pas la maladie, la peur, misère on vit avec le spectre de la mort. De toute façon on est tous dans le couloir de la mort.


    Texte 2sous tension

    " les bruits de bottes se font déjà entendre !"
    Joli contraste des 2 textes.
    Je me demande ce que va ramener Arthur de ce voyage et qui va impacter sa vie. Peut-être l'amour et la gratitude pour la vie, les canards et les chapelles .
    Le temps passe il faudra bientôt rentrer et Arthur n'en a pas envie.
    Très chouette!
    Merci.
    Nadera
    "

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  4. Bonjour Patrick,

    Un texte magnifique de violence poétique, soutenu par un questionnement philosophique face à l’urgence des menaces qui pèsent sur le monde. Si j‘ai bien compris, Arthur et Mélissa sont revenus à Kythnos, qui serait l’île des singes. Cette île aurait échappé à l’épidémie grâce à la protection divine, à la foi de ses habitants. Echappera-t-elle à la violence anarchique qui déferle sur le monde ? A la guerre ?
    Mais qu’en est-il des rapports entre Arthur et Mélissa ? Qu’en est-il du problème qu’entretient Arthur avec son image de soi ? Que sont devenues les sœurs jumelles. Louise est morte, mais l’autre ? Autant de sujets que tu as évoqués et que tu traites, me semble-t-il, trop peu, privilégiant de très beaux élans lyriques sur des questions plus générales.
    Dans ton sixième chapitre qui sera jaune un souvenir retrouvé va aider Arthur à résoudre son problème : son rapport à son image de soi.
    Bon travail,
    Liliane

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